Avis du CNPN sur l'eolien offshore

Planification éolien en mer


AVIS DU CONSEIL NATIONAL DE LA PROTECTION DE LA NATURE (CNPN) SUR L’EOLIEN OFFSHORE


Actuellement il y a en France 6 parcs autorisés en posé en Manche et Atlantique, pour un total de puissance cumulé de 3 GW. L’objectif de la Communauté Européenne pour la France pourrait atteindre 62 GW en fourchette haute des scénarios de RTE, soit environ 7100 éoliennes si l’on tient compte d’une puissance moyenne future de 8MW. C’est moitié plus que les 5000 éoliennes offshores installées jusqu’à présent dans toute l’Europe. On peut raisonnablement craindre que ce programme soit incompatible avec l’objectif de zéro perte de biodiversité en France compte tenu de plusieurs facteurs :

(1) Les connaissances acquises sur l’éolien offshore, sur lesquelles s’appuie ce rapport, ne concernent que les éoliennes déjà installées en Europe, dont la puissance individuelle moyenne est 14 fois plus faible que celles qui seront installées en France, avec une hauteur deux fois moindre et une surface balayée 4 fois moindre, et installées en moyenne à 41 km au large, contre 10 à 20 km en France pour les parcs actuellement autorisés.

(2) Cette connaissance des impacts, très partielle et rarement communiquée par les exploitants des parcs, et se limitant de surcroit à quelques publications scientifiques notamment belges, ne concerne pratiquement que la Mer du Nord, aux fonds sableux, alors qu’une partie des parcs français seront sur fonds rocheux avec une diversité d’habitats beaucoup plus variée. 

(3) Enfin, les caractéristiques des populations d’oiseaux et de mammifères marins en Mer du Nord diffèrent en partie de celles françaises en termes d’espèces et du rôle de la France comme zone de passage obligé pour les migrateurs qui sont concentrés sur le goulot d’étranglement de la Manche. A Dunkerque transitent 1,3 millions d’oiseaux en migration d’automne sur un front de quelques km, sans compter les oiseaux britanniques pour le reste de la Manche. Et cela se renouvelle en migration de printemps avec des effectifs plus faibles. 

Toutes ces raisons font que l’estimation des impacts potentiels est difficile à effectuer, mais qu’elle ne pourra qu’être plus élevée qu’en Mer du Nord, et que le principe de précaution devrait donc largement prévaloir.

Les impacts les plus importants concernent les oiseaux, par mortalité directe par collision, à laquelle s’ajoute la perte d’habitats pour les espèces capables d’éviter les parcs voire même leurs alentours, mais qui du coup ne peuvent plus s’y nourrir. Le risque de mortalité paraît plus élevé pour les espèces qui pénètrent dans les parcs en étant attirées par les jackets utilisées comme support des éoliennes (ou les flotteurs des éoliennes flottantes dans le futur), ce qui sera le cas en France pour une partie des parcs.

Concernant les habitats sous-marins, les impacts concernent surtout la phase de construction des éoliennes par battage de pieux ou forages mécaniques ou par explosifs, avec remises en suspension de sédiments, tandis que les impacts sur la courantologie, la sédimentation et d’éventuelles conséquences sur l’érosion des côtes sont peu étudiées. En phase d’exploitation les effets des rejets de métaux restent insuffisamment étudiés, notamment l’aluminium rejetés par les anodes sacrificielles utilisées pour éviter la corrosion des installations.

Les effets connus des parcs éoliens sur les mammifères marins concernent essentiellement le bruit lors du battage de pieux pour les parcs posés au fond, cas de tous les parcs en Mer du Nord, et concernent essentiellement le Marsouin, espèce la plus présente dans cette mer (comme le Phoque veau marin) : on constate une évasion d'habitat dans un rayon allant jusqu’à 17 km pendant quelques heures à 2-3 jours. Mais on ne connait pas les effets sur les cétacés absents ou rares de cette mer et nombreux en France, à savoir le Dauphin commun, le Dauphin bleu et blanc et le Grand dauphin, ni sur le Phoque gris.

Chez les mammifères marins, les oiseaux ou les chauves-souris, on ne connait pas l’effet cumulé des parcs sur la perte d’habitats, et si leur multiplication par un facteur 10 proposée par la C.E. en Europe peut entraîner des impacts exponentiels par franchissement de seuils de tolérance. D’ores et déjà on est quasiment certain que le programme de 300 GW d’éolien offshore proposé par la C.E. est incompatible avec la dynamique de population de plusieurs espèces d’oiseaux dès lors que la mortalité augmenterait de 5% ou plus. 

Contrairement à certains pays européens où la biodiversité est prise en compte en amont dans le choix des localisations de parcs, comme l’Allemagne, ce n’est pas le cas jusqu’à présent en France. Les porteurs de projet s’abritent en effet derrière un intérêt public majeur de lutte contre le réchauffement climatique, sans que l’on sache d'ailleurs la contribution réelle de l'éolien en mer à celui-ci, compte tenu de l’intermittence et du nécessaire complément par d’autres sources d’énergie notamment du gaz fortement émetteur de GES. 

  • L’État ne peut pas se reposer sur des porteurs de projet « juges et parties » pour faire un état des lieux objectif de la biodiversité, compte tenu du risque juridique qu’ils prennent s’ils démontrent de trop grands risques pour la biodiversité.
  • Les impacts potentiels de l’éolien en mer (posé et ancré) sur l’ichtyofaune, les mollusques, les crustacés et les invertébrés benthiques vulnérables sont encore imparfaitement connus si ce n’est quantifiés, et dépendent directement des phases techniques des projets (construction, exploitation, démantèlement).
  • Vu l'ampleur du programme envisagé par le gouvernement, il n'est pas acceptable d'évaluer les risques d'impact à court, moyen et long terme en extrapolant ce qui est connu pour des espèces plus ou moins proches
  • Durant la construction, les bruits de battage de pieux créent une zone d'exclusion dont l'ordre de grandeur est de 10 km de rayon pour le Marsouin. Cette zone peut être plus importante pour le Grand dauphin. Pour les autres espèces, la zone d'exclusion est inconnue. Cette exclusion étendue à un parc éolien de 100 éoliennes entraîne une désertion d'habitat sur plus de 300 km² pendant une grande partie de l'année, avec des conséquences populationnelles que l'on peut difficilement évaluer (Marsouin, Grand dauphin). Pour les autres espèces, on est dans l'inconnu mais la zone d'exclusion créée par le battage de pieux est probablement beaucoup plus étendue.
  • Différencier l’approche entre l’éolien flottant et le posé, car ces deux technologies ont des impacts bien différents à la fois sur le milieu marin et les espèces, mais aussi sur les paysages
  • Pour ce qui concerne les modifications écosystémiques probables, l'état actuel des connaissances scientifiques rend impossible une prévision même approximative des effets induits par un développement à grande échelle de l'éolien offshore
  • Eviter, dans la recherche des zones potentielles de développement éolien, les Aires Marines Protégées, notamment celles qui portent clairement la finalité de conservation d’espèces et d’habitas, comme les ZSC et les ZPS des directives Habitats et Oiseaux et les Parcs Naturels Marins, ainsi que les aires protégées fortes au titre de la SNAP 2030. Ces zones n’ont pas vocation à accueillir des parcs éoliens sous peine d’altérer leur image et d’être en contradiction avec le fondement même des intérêts qui ont présidé à leurs créations
  • Privilégier les projets de parcs éoliens flottants, eu égard aux impacts sur la biodiversité (oiseaux, chiroptères, et faune perturbée par le battage de pieux) et les paysages liant terre-mer, en les éloignant des côtes sans être trop proche du talus pour préserver les Cétacés. On ne comprend pas pourquoi tous les parcs actuellement décidés l’ont été dans la zone des 12 miles, entre 10 à 20 km des côtes, alors que la moyenne en Europe est de 41 km
  • Prendre en compte les liens intimes et indissociables entre enjeux climatiques (et leur déclinaison en objectifs énergétiques) et enjeux d’érosion de la biodiversité. Les experts du GIEC et de l’IPBES recommandent à cet égard de les aborder de façon concomitante, tant ils sont liés. Le CNPN demande que ces deux sujets soient abordés avec la même ambition, tant à l’échelon local que national. Le CNPN regrette qu’au sein des Ministères de la Transition Ecologique et de la Mer, les objectifs énergétiques notamment ENR sont systématiquement priorisés, via la prééminence des objectifs de la DGEC, au détriment des enjeux pourtant également régaliens de la Biodiversité et des Paysages renforcés par la Loi de 2016
  • Déterminer quelle est la fonction biologique des habitats impliqués dans le développement de l'éolien offshore, pour chacune des espèces concernées, par des moyens appropriés (acoustique passive en particulier). Dans le cas où une région présente un intérêt vital et unique pour une des espèces du domaine marin métropolitain, le CNPN recommande de ne pas y construire de parc éolien.
  • En 2021, 10 ans après le premier débat public sur un parc éolien, la France a démarré la construction de ses 3 premiers parcs éoliens posés : Saint-Nazaire, Saint-Brieuc et Courseulles. L’état initial de l’environnement et des paysages (depuis les principaux points du littoral) et les enjeux environnementaux principaux n’ont pas été pris en compte, et notamment les espèces protégées (contrairement à d’autres pays européens comme l’Allemagne) relevant pourtant d’engagements européens (dont les Directives Oiseaux 1979- 2009 et Habitats 1992 formant globalement le régime Natura 2000) concernant les zones de reproduction, de migrations et d’hivernage de l’avifaune, des chauves-souris, et des mammifères marins notamment), ainsi que des habitats d’intérêt communautaire, et les paysages... Or depuis 2008, la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM), complétant l’objectif des deux Directives Natura 2000, établit un cadre de protection pour le milieu marin constitué de 11 descripteurs, dont le premier porte sur la biodiversité marine et le dernier - le 11- relatif à l’introduction d’énergie, y compris de sources sonores sous-marines, qui doit s’effectuer à des niveaux qui ne nuisent pas au milieu marin. L’application de cette directive porte sur l’atteinte d’objectifs environnementaux pour un Bon Etat Ecologique (BEE) au moyen d’une part, de dispositifs d’observation et, d’autre part, de « mesures » correctives.
  • Dans la phase de construction, l’ancrage des fondations et la pose de câbles sous-marins peuvent perturber les habitats par destruction physique, induire des déplacements d’espèces ou d’évitement du parc par certaines espèces tout en augmentant la pression sur les habitats adjacents. Dans ce contexte, les compartiments les plus impactés concernent les invertébrés benthiques et les populations de poissons. La construction et le démantèlement peuvent générer des remaniements des fonds et une remise en suspension de matériaux. En général, l’augmentation de la turbidité d’une zone diminue la diversité biologique, avec pour conséquence des changements dans la composition des espèces et des fonctions écologiques perturbées. L’obstruction de branchies de poissons, et la perturbation des stades larvaires sensibles aux conditions environnementales peuvent impacter durablement les populations locales. Les bruits et vibrations émis lors des phases de construction, d’exploitation et lors du démantèlement sont également à considérer. Les conditions de maintenance des installations induisent une augmentation du trafic maritime et son corollaire, de pollution sonore. Ces pressions peuvent perturber les capacités de communication et de détection de l’environnement acoustique. Ceci se traduit par des changements de comportements (dérangement, déplacement des zones d’alimentation et/ou de reproduction, évitement), voire une perte auditive, des lésions tissulaires ou des dommages des organes situés autour de la vessie natatoire des poissons. Les poissons disposent d’un système auditif plus ou moins performant (Popper et Fay, 2011 in Chauvaud et al. 2018) en fonction de la présence/absence d’une vessie natatoire, d’une vessie natatoire non connectée, ou connectée à l’oreille interne via les osselets de Weber, et pour les plus performants du prolongement de la vessie natatoire jusqu’à l’oreille interne. Dans ce dernier cas, les poissons Clupeidae peuvent être directement impactés. A noter par ailleurs que les crustacés et les céphalopodes ont des capacités de détection acoustique les mieux connues parmi les invertébrés, avec la possibilité de détecter des vibrations et des mouvements de particules associés à la production sonore. Les retours d‘expérience à partir d’éoliennes posées restent limités et semblent prioritairement concerner les mammifères marins et les poissons dans la phase de construction. A noter un probable phénomène d’habituation pour les poissons en phase d’exploitation, même si des effets négatifs sur la reproduction de quelques espèces sont identifiés. Des retards de métamorphose de larves de poissons et d’invertébrés en réponse à la pollution sonore sont identifiés.
  • La multiplication des structures et des parcs éoliens pose la question de l’effet cumulé de ce métal et de l’impact, en particulier de sa bioaccumulation par des organismes marins, résultant de sa dispersion dans l’environnement. Le projet de recherche ANODE - qui s'est terminé en 2020 - n’a pas pu conclure sur l'existence (ou non) d'un risque lié au relargage des contaminants métalliques issus des anodes galvaniques, en particulier sur l'aluminium, mais l’évaluation des risques n’a été réalisée qu’au niveau de la colonne d’eau. Il manque des données écotoxicologiques et des données environnementales permettant d'établir des seuils robustes pour l'aluminium (et ses espèces chimiques). Donc l'évaluation du risque chimique est aujourd'hui limitée par manque de données marines suffisantes. 
  • La France dispose d’une stratégie en matière d’aires marines protégées en tant que « Partie » de la Convention Diversité Biologique (CDB) qui se traduit notamment par des objectifs en matière de Parcs Naturels Marins et de Réserves Naturelles Nationales. Si des activités humaines restent possibles au sein de ces zones protégées, elles doivent être compatibles avec une protection sur le long terme de ces écosystèmes. La capacité du milieu à accueillir des activités en mer toujours plus nombreuses en respectant l’objectif de zéro perte nette de biodiversité, n’est donc pas connue en France depuis le début du processus de désignation des zones de parcs éoliens offshore. L’Autorité environnementale tout comme la Commission Nationale du Débat Public lors des trois dernières consultations du public sur l’éolien en mer ont constaté la défaillance à prendre en compte des impacts cumulés en mer.
  • Les impacts potentiels sur la biodiversité représentés par le développement de l’éolien offshore en France peuvent être très importants sur la biodiversité marine, sur les habitats marins et espèces les composant, notamment les poissons, crustacés et mollusques par modifications physiques, hydrologiques et chimiques.
  • Pour ce qui est de la phase d'exploitation, un résultat d'étude in situ montre l'étendue des changements provoqués sur l'ichtyofaune par les structures immergées d'éoliennes offshore. Compte-tenu du nombre de structures, de leur faible espacement (fondations monopile ou jacket), et de la mobilité d'une partie de la macrofaune (crustacés, poissons), des modifications écosystémiques à moyenne échelle sont probables.
  • Si le battage de pieux est la technique souvent appliquée, il y a un risque que l'augmentation chronique de l'ambiance sonore produise des effets non prévus, ceux qui peuvent découler de l'exposition à des niveaux sonores modérés (à longue distance) mais sur un temps long. Il est déjà démontré que le stress peut engendrer des conséquences néfastes à l'échelle d'une population. Les effets comportementaux n'affectent pas seulement les mammifères marins, mais également des poissons comme le Bar. Les effets du bruit sur les tortues et les calmars sont également significatifs à basse fréquence. En plus du bruit induit par l’ancrage ou le forage des fondations, l’augmentation des trafics de bateaux pour les opérations de maintenance est à prendre en compte. Si tout cela peut sembler acceptable et compensable à l’échelle d’un parc, cela pose un tout autre problème à l’échelle de plusieurs dizaines de parcs, avec une augmentation globale du niveau de bruit sous-marin qu’il convient de mesurer et de cartographier.
  • La multiplication des lignes électriques sur le fond fait craindre des perturbations du champ magnétique. Si ces effets sont réputés sensibles uniquement à faible distance, ils peuvent affecter les déplacements de certains poissons, notamment les cartilagineux, à une échelle plus grande en raison de l'extension spatiale des câblages liée à l'ampleur du développement programmé
  • Alors que la grande majorité des éoliennes offshore actuellement déployées en Europe sont dispersées sur de grandes surfaces en Mer du Nord avec une distance moyenne à la côte de 41 km (Connaissance des Energies 2018, et même 90 km pour le Hornsea park anglais), où la densité des oiseaux marins est relativement faible compte tenu de leur large dispersion sur cette mer (ce qui se traduit par un impact des éoliennes plus diffus), le cas de la France montre des particularités régionales très différentes liées notamment à la proximité des côtes des projets éoliens actuels et aux profondeurs importantes dans certains secteurs, et au fait que certains couloirs constituent un passage obligé pour les oiseaux marins migrateurs aux deux passages d’automne et de printemps, deux facteurs qui augmentent les densités par rapport à la moyenne des espaces maritimes européens.
  • La Manche et la Mer du Nord sont le théâtre de très importants mouvements nocturnes d’oiseaux terrestres qui longent les côtes continentales d’Europe du Nord jusqu’en Bretagne. On sait que les oiseaux évitent beaucoup plus mal les éoliennes la nuit. Cette migration d’oiseaux terrestres prend une ampleur plus importante encore à travers la Méditerranée, car ce sont cette fois-ci des centaines de millions d’oiseaux (8 000 à 12 000 individus par kilomètre de front quittant les côtes méditerranéennes d’Europe chaque jour à la tombée de la nuit entre le 1er septembre et le 31 octobre), notamment de passereaux, qui franchissent la mer sur un front continu des Alpes jusqu’aux Pyrénées, avec un hotspot d’oiseaux d’eau à partir de la Camargue dont les Limicoles, Anatidés et Flamands roses (Blondel 2019), ce qui rend incompréhensible la localisation du projet de parc éolien flottant à 17 km de la Camargue, qui plus est dans la ZPS camarguaise. Ce front migratoire concerne aussi des dizaines de milliers de rapaces, qui survolent la mer, en particulier lors de la migration de printemps, revenant d’Afrique et se dirigeant vers leurs sites de reproduction à travers toute l’Europe. Si une grande partie des oiseaux migre à haute altitude (Passereaux, certains rapaces), les observations côtières et surtout l’usage d’un radar spécifiquement conçu pour ce type de suivi (les radars classiques étant inadaptés) montrent que beaucoup d’entre eux (Flamands roses, rapaces…mais aussi Passereaux) volent également nettement plus bas, y compris à hauteur de pales. 25% de la migration nocturne a lieu à moins de 200 m d’altitude et 50% à moins de 700 m, la migration à basse altitude étant énergétiquement avantageuse par vents contraires, surtout en automne (Blondel 2019). Les rapaces sont connus pour éviter la mer, mais la Méditerranée est franchie par la majorité des Busards et des Faucons, qui sont susceptibles de se retrouver en grande vulnérabilité face aux éoliennes.
  • De vastes pans marins ne sont plus utilisés pour l’alimentation par les espèces qui évitent les éoliennes. Cette perte d’habitat engendre donc un abaissement du plafond d’espace disponible pour les oiseaux marins nicheurs (perte d’habitat).
  • Comme pour les oiseaux notamment terrestres survolant la mer, nos connaissances sur le risque présenté par les éoliennes offshore sur les chiroptères est faible faute de pouvoir retrouver les cadavres, bien que pouvant potentiellement être élevé (espèces longévives à faible natalité comme pour les oiseaux marins) et on n’imaginait pas jusqu’à récemment que certaines espèces pouvaient aller s’alimenter régulièrement en mer jusqu’à 20 km des côtes voire traverser régulièrement la Mer du Nord lors des migrations.
  • Difficulté par rapport aux gros oiseaux, la mortalité est à la fois due aux collisions directes avec les pales et une destruction des organes internes sans toucher les pales (barotraumatisme engendré par la pression du souffle d’air des pales). Il semblerait que les chauves-souris n’utilisent que très peu leur sonar en migration et que de plus, à cause de la forme spéciale des pales, les cris d'écholocation ne soient pas renvoyés vers les chauves-souris mais vers d'autres directions, ce qui rendrait les chiroptères en partie "acoustiquement aveugles"

CNPN – Annexe : PARTICULARITES DE LA FRANCE DANS LE CONTEXTE ENERGETIQUE EUROPEEN

L’objectif européen d’un fort développement de l’éolien notamment maritime est justifié par la lutte contre le réchauffement climatique qui nécessiterait un « mix énergétique », dont le but en France est aussi de diminuer la part du nucléaire (d’au moins 50% d’après la loi de 2015) dans la production française d’électricité, bien qu’il soit largement décarboné. Globalement, le bilan carbone de la consommation électrique dans la Communauté Européenne est mauvais, avec une moyenne de 296 g de CO2 par KWh en 2018. Ces chiffres globaux masquent des situations très différentes selon les pays, tant en bilan carbone qu’en conséquences environnementales des programmes européens et français dans le coût-bénéfice climat/biodiversité/paysages. La grande majorité des pays présentent un bilan carbone de consommation électrique mauvais, mais avec de très fortes disparités (allant en 2018 de 944 g de CO2 par KWh pour la Pologne et 453 g pour l’Allemagne, à seulement 38 g pour la Suède et entre 30 et 53 g (mais 55-60 g aux points de consommation en ajoutant les pertes de transport) pour la France, les deux meilleurs élèves du point de vue climatique (avec la Norvège hors U.E).

Du point de vue de la biodiversité marine, seuls les pays disposant d’une façade maritime seront par définition impactés, avec un enjeu différent selon les pays concernés. Avec trois façades maritimes aux contextes biogéographique, météorologique, de profondeur et de biodiversité variés, accueillant à la fois des zones de reproduction, des voies de migration et des sites d’hivernage majeures pour l’Europe, notamment pour les oiseaux ou les mammifères marins, la France devra affronter des conséquences beaucoup plus importantes que les autres pays, notamment d’Europe du nord peu favorables à l’hivernage de la faune (températures froides et tempêtes en Mer du nord, Baltique pouvant geler). Se pose aussi la question des paysages soulevée par la CSSPP.

Deux questions majeures n’ont pas encore été tranchées par le Conseil Européen : 

1- Chaque pays doit-il être responsable de ses choix énergétiques ou faire reporter les efforts sur l’ensemble des pays européens par solidarité ? Autrement dit, la France, qui figure parmi les trois pays européens (dans et hors C.E.) les plus faibles émetteurs de gaz à effet de serres (GES) pour la production électrique décarbonée et le meilleur au monde des pays développés en émission de CO2 par unité de PIB depuis 1990 selon le Ministère de la Transition Ecologique (Stratégie Nationale Bas Carbone 2020 p.7), doit-elle payer en termes de biodiversité et de paysage pour les pays hautement émetteurs de GES ? Le Conseil Européen n’a pas voulu se prononcer en mai 2021. Mais les engagements antérieurs français envers la Commission Européenne (Paquet Energie-Climat de 2008 portant à 23% d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation d’énergie finale brute à l’horizon 2020, puis l’engagement de 2018 la portant 32% en 2030 et à terme à 40% voire 55% en 2050) placent paradoxalement la France parmi les trois pays les plus éloignés de leurs objectifs, par non prise en compte du nucléaire. Il n’en demeure pas moins qu’il faudra faire des efforts importants pour diminuer l’emprunte carbone totale incluant le logement et les transports (les deux postes les plus émetteurs avec l’agriculture). Le récent rapport GIEC/IPBES (2021) montre les avantages et inconvénients des différentes solutions pour lutter contre le changement climatique au regard de leurs impacts sur la biodiversité, mais avec beaucoup d’incertitudes pour certaines, dont l’éolien. 

2- Cette priorité donnée par l’Europe aux énergies renouvelables (surtout éolien et photovoltaïque), si elle se justifie pleinement pour les pays utilisant massivement des énergies fossiles, n’est-elle pas en partie contre-productive du point de vue climatique pour les pays dont l’électricité est très largement décarbonée comme la France (dont l’énergie fossile se limite à 9,5% de la production électrique, dont celle de 4 centrales mixtes charbon-fuel dont la fermeture prochaine est programmée), et dont le recours à des productions intermittentes serait selon certains contre-productif si elles entraînent un besoin de lissage de la production par du gaz ?

En plus du bilan carbone et de la nécessité impérieuse de lutter contre le réchauffement climatique, le coût en consommation d’espaces naturels et en impacts sur la biodiversité est l’un des facteurs importants à prendre en compte. La production électrique conventionnelle en France (fossiles et nucléaire), qui pose d’autres très importants problèmes, a été peu consommatrice d’espace, ce qui n’est pas le cas des ENR. Installer une puissance éolienne équivalente à une petite centrale nucléaire nécessite une emprise de 400 km2 sans parler des centrales électriques (au gaz) qui devront pallier l'intermittence de la production éolienne, ou des usines à hydrogène. 

Il est difficile de se faire une opinion sur l’apport précis des ENR lors des débats publics. Les critères employés sont notamment trop souvent différents voire abscons. Comme le souligne l’ancienne ministre de l’Environnement, Chantal Jouanno, présidente de la Commission Nationale du Débat Public lors du débat public Bretagne Sud en 2020, "C'est dommage qu'on n'arrive toujours pas à avoir une forme d'accord sur le bilan carbone complet et la contribution en termes de réduction d'émissions de carbone sur ce type de projet (…), avec le recul qu'on a en termes de débats publics sur les projets de parcs éoliens, on aimerait que les maîtres d'ouvrage puissent apporter des réponses un peu plus partagées". 

Les dossiers n’abordent souvent les objectifs qu’en termes de puissance installée plutôt qu’en termes de production effective (tenant compte du facteur de charge ou de capacité) et de consommation finale (tenant compte des crédits de capacité des différentes énergies c’est-à-dire leur disponibilité au moment de la demande de consommation, et du marché de l’énergie), et encore moins en termes de bilan CO2 réel (durée du retour sur neutralité carbone) et de coût économique pour le contribuable sur la durée de vie des installations. 

Très souvent les chiffres fournis comparent des choses non comparables, par exemple (Commission Européenne 2020) : en 2018, l’UE disposait d’une puissance éolienne installée de 160 GW à terre et de 19 GW en mer, ce qui représentait 
14 % de la demande d’électricité de l’UE et reste la deuxième plus grande capacité de production d’électricité, comparant ainsi puissance installée, production et consommation d’électricité alors que seulement 19,6% (en Allemagne) à 22% (en France où le parc est plus récent) de la puissance installée des éoliennes terrestres fournit réellement de l’électricité, même si elles tournent 75% du temps, sachant qu’en général seule la moitié de la puissance éolienne installée n’est mobilisable à un instant donné, même lorsque toutes les conditions météorologiques sont réunies soit 1200 h pour l’éolien terrestre et 3200 h pour l’offshore sur un total potentiel annuel de 8760 h.

En outre, la majorité de la fourniture d’électricité produite intervient dans des périodes excédentaires de production en Europe, ce qui rend urgent le problème du stockage. 

Le parc éolien offshore de Saint-Brieuc est justifié comme permettant de couvrir la consommation de 835 000 habitants locaux (AFP 14/4/2021), alors qu’il n’en couvrira que de 30 à 40% si l’on prend en compte sa fourniture réelle (facteur de charge) et non la puissance installée, et il n’est même pas établi que cette production intervienne toujours au moment de la demande de consommation. La production électrique ne peut qu’être incluse dans le réseau national et en aucun cas consommée localement car il est impossible d’affecter une ressource à une consommation. Le facteur de charge des éoliennes offshore est de 40% dans un pays très venté comme la Grande Bretagne (deux fois plus que le terrestre) mais beaucoup moins dans un pays météorologiquement beaucoup plus clément comme la France (sauf à mettre des éoliennes de 260 m de hauteur), et le transport ainsi que les changements de tension entrainent des pertes de courant de 25%, ramenant donc le facteur de charge réel actuel à 30 ou 35%, voire moins en termes de crédit de capacité. Comme pour les énergies intermittentes terrestres, il faut donc les compléter par des énergies fossiles émettrices de CO2 (essentiellement gaz), moins facilement nucléaire (souplesse moindre) pour des raisons de sécurité face aux pics de consommation.

RTE a indiqué que la réduction du parc nucléaire à 50% de l’électricité produite en France en 2025, telle que prévue dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 (mais repoussée à 2035 pour la loi énergie-climat de 2019), pourrait entraîner la construction d’une vingtaine de centrales à gaz supplémentaires pour assurer la sécurité d’approvisionnement lors des pointes de consommation, conduisant à une augmentation forte et durable des émissions de gaz à effet de serre (Stratégie Nationale Bas Carbone mars 2020 p.120).

La durée de vie joue aussi pour amortir le coût financier et écologique de l’installation (100 ans pour un barrage, 40 à 60 pour une centrale nucléaire, environ 20 ans pour l’éolien dont le facteur de charge passe pour le terrestre de 24% les 15 premiers mois à 11% après 15 ans). Il est aussi nécessaire de tenir compte de la gestion de déchets qui reste l’un des grands points faibles du nucléaire, et de l’acceptation sociale des différentes énergies, dans lequel le coût économique intervient forcément (cf. rapport de la Cour des Comptes de 2018 sur les ENR, avec un coût annuel de 7 milliards d’€ pour les finances publiques et au total 121 milliards, excédant le cout du parc nucléaire passé pour une production électrique dix fois moindre).

L’impact environnemental et social de l’extraction des terres rares, la disponibilité future des ressources, la dépendance géopolitique qu’elle implique vis-à-vis d’une nation comme la Chine posent également d’importantes questions en termes d’intérêt public majeur – tout comme celle de l’uranium, bien au-delà du degré d’analyse habituel. 

Se pose donc la question du débat nécessaire entre le coût-bénéfice du rôle des ENR dans la lutte contre le réchauffement climatique dans le mix énergétique actuel et futur concernant ici la seule production électrique, par rapport aux enjeux régaliens de la biodiversité et des paysages, qui devraient faire l’objet d’un débat public transparent pour l’ensemble de la société. C’est notamment ce qu’a demandé le CESER Nouvelle Aquitaine dans un rapport remarquable sur la question.
 

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